Tristan et Yseult (extrait)
Roi Marc'h aux
oreilles du cheval Marin avait traversé la mer et s'était réfugié chez son
cousin, le roi Arthur, qui régnait en Grande-Bretagne. Arthur l'avait reçu fort
courtoisement et s'était empressé d'envoyer chercher son bon conseiller,
1'enchanteur Merlin, pour lui demander s'il n'existait pas un moyen de faire
recouvrer au roi Marc'h ses oreilles humaines. Merlin se caressa longuement la
barbe et répondit qu'il connaissait un philtre qui lui rendrait son bel aspect
d'autrefois tant qu'il se trouverait dans l'île de Bretagne. Mais que si jamais
il lui prenait la fantaisie de retourner vers les rivages d'Armorique, ce
philtre cesserait d'opérer et ses oreilles de cheval repousseraient.
Après
avoir bu le philtre et retrouvé tout aussitôt son apparence humaine, il décida
de s'installer définitivement près du Roi Arthur, son cousin, en Cornwall. Il
fit construire son château à Tintagel, et gouverna avec sagesse et droiture.
Il eut un jour la douleur d'apprendre que le bébé de sa soeur, qui habitait
toujours en Bretagne avait disparu après une attaque du duc Morgan. Quelque
dix-huit ans plus tard, un beau jeune homme échouait sur la côte de Cornouaille,
après avoir été prisonnier des pirates et leur avoir faussé compagnie à la nage.
Il avait de bonnes manières, il jouait de la harpe celtique à ravir, au combat
il valait bien cinq guerriers des plus valeureux. Le roi Marc'h l'accueillit en
son palais et s'attacha à lui comme s'il avait été son propre fils. Le Roi
Marc'h n'était pas marié et n'avait pas d'enfant. Le jeune homme ignorait sa
propre identité. Il savait seulement son nom, Tristan, mais ne pouvait dire qui
étaient ses parents.
Ce, jusqu'au jour où débarqua à Tintagel un noble
seigneur d'Armorique, nommé Talhouc'h, qui allait de port en port à la recherche
de son fils adoptif enlevé par des pirates. On lui dit qu'il y avait au palais
un jeune homme qui, justement avait échappé à des pirates et qu'il se nommait
Tristan. Talhouc'h ne fit qu'un bond jusqu'au palais et y retrouva son fils
adoptif, Tristan.
Il expliqua au roi Marc'h:
-C'est Tristan de Léon,
votre neveu, le fils de votre soeur Bleunwenn. Votre soeur me l'a confié, quand
il était bébé, pour que je le cache du duc Morgan. Je l'ai bien élevé et j'en ai
fait un chevalier accompli.
-C'est grande joie, dit le roi. C'est un
guerrier intrépide, un artiste et l'un des plus honnêtes que je connaisse!
Il
associa dorénavant Tristan à toutes les décisions du Royaume.
Il y a tout un
livre qui parle de ses aventures.
Un des plus grands exploits de Tristan,
c'est d'avoir tué en combat singulier le Morholt, un monstre irlandais
redoutable qui dévorait les petites filles. Il trancha la langue empoisonnée du
monstre mais se fit assommer d'un coup de queue du monstre pas encore tout à
fait mort. Il fut découvert par des paysans qui l'amenèrent au château d'Yseult,
la belle Blonde qui en tomba amoureuse. Cela ne fit pas l'affaire du Sénéchal du
palais qui réclamait la main d'Yseult depuis longtemps. Tristan dût fuir et
retourna à Tintagel.
Un jour, un petit groupe de seigneurs, jaloux de
Tristan, s'en vint trouver le roi Marc'h pour lui dire qu'il était grand temps
qu'il prit pour femme une de leurs filles afin d'avoir un légitime héritier.
Voyant sur sa fenêtre un long cheveu blond, fin comme la soie et brillant comme
un rayon de soleil, que venait de laisser tomber une hirondelle, le Roi Marc'h
s'en saisit et déclara:
-Je prendrai femme, pouvu que vous m'alliez quérir
celle que j'ai choisie.
-Nous irons. Qui est donc celle que Votre Majesté a
choisie?
-J'ai choisi celle à qui appartient ce cheveu d'or et je n'en veux
point d'autre.
-Dites-nous à qui est ce cheveu d'or et où elle se trouve et
nous partirons aussitôt la quérir.
-Eh bien, c'est un cheveu de la Belle aux
cheveux d'or et l'hirondelle qui me l'a apporté sait en quel pays elle se
trouve.
Les seigneurs comprirent qu'il se moquait d'eux et regardèrent
haineusement Tristan. Mais Tristan avait reconnu le cheveu d'or: il ne pouvait
appartenir qu'à Yseult, la princesse d'Irlande. Tristan savait que le Sénéchal
avait mis sa tête à prix. Mais comme il ne voulait pas être soupçonné de n'aimer
son oncle que par ambition, il déclara:
-Je sais où est la Belle aux cheveux
d'or. Cette quête sera pour moi périlleuse, mais je veux essayer de la ramener à
Tintagel. Il aurait mieux valu pour le roi Marc'h comme pour Tristan qu'il ne
fit jamais cette proposition.
Il partit sur-le-champ quérir la belle
Yseult et il n'en résulta que de grands malheurs. Il arriva à convaincre la
belle de venir à Tintagel et d'épouser Marc'h. La magicienne Mirgesse concocta
pour Yseult et le Roi Marc'h, un Philtre d'Amour, une boisson si magique que
ceux qui en boiront s'aimeront merveilleusement pendant l'éternité! Mais sur le
bateau du retour, Tristan et Yseult ont soif, cherchent une bouteille et par
ignorance boivent le philtre d'amour. C'en est fait, dès lors ils sont
invinciblement attirés l'un par l'autre.
Le Roi Marc'h qui ne sait rien,
épouse Yseult. Par loyauté pour le roi, ils luttent contre leur folle passion,
mais ne peuvent s'empêcher de se rencontrer en secret. Un jour, le roi, prévenu
par les barons jaloux, surprend les amants. Tristan s'exile en Armorique mais le
philtre est plus fort. Il ne reverra cependant plus jamais Yseult.
Ce que
l'histoire de Tristan et Yseult ne dit pas, c'est ce qu'il advint du roi Marc'h
après la mort tragique de son neveu et de son épouse. En Armorique, nous le
savons: il était tellement peiné par le chagrin que la seule vue de Tintagel lui
était devenue insupportable. Il abandonna brusquement son château, sa couronne,
ses sujets et traversa la mer pour retourner en terre d'Armorique.
Lorsqu'il
débarqua ... ses oreilles de cheval se mirent à repousser! Il regagna son palais
de Plomarc'h, qui, depuis le temps qu'il l'avait quitté, était envahi par les
ronces et à-demi écroulé. Il le fit rebâtir et reprit le gouvernement du pays.
Mais il était aigri et quiconque riait en regardant ses oreilles de cheval avait
aussitôt la tête tranchée. Pourtant il savait être bon et distribuait ses
richesses aux pauvres et aux mendiants.
Quand il mourut, d'avoir bu trop
d'hydromel, par punition pour sa méchanceté, son âme dû demeurer dans sa tombe
jusqu'à ce que cette tombe soit assez haute pour que, de son sommet, le roi
Marc'h puisse voir le clocher de la chapelle, de l'autre côté de la montagne du
Menez-Horn. Alors Yeunig son seul ami mit des grosses pierre pour faire grossir
la sépulture du roi Marc'h. Cela juste au moment où un mendiant passait par-là.
Le mendiant lui demanda l'aumône.
-Volontiers, répondit-il, si auparavant
vous faites comme moi, ramassez une de ces grosses pierres qui sont dans la
lande, et venez la déposer sur la tombe où je vais poser la mienne.
Le
mendiant obéit et reçut en récompense une belle pièce d'or. Yeunig lui dit
-Vous pouvez sauver son âme. La tombe où nous venons de déposer des pierres
est la sienne. Quand vous passerez par-là, ne manquez pas de refaire la même
chose. Et dites à toutes les personnes de votre connaissance qui ont l'occasion
de voyager par ici de faire de même. Quand le tas de pierres sera assez haut
pour que l'âme du roi puisse contempler le clocher de la chapelle qui est de
l'autre côté, son âme pourra monter au paradis.
Bien des siècles ont passé
depuis et les Bretons n'ont pas cessé, lorsqu'ils cheminent sur la montagne du
Menez-Horn, d'aller déposer leurs cailloux sur la tombe du roi Marc'h. Si vous
passez un jour par-là, vous qui m'écoutez, n'oubliez pas de faire vous aussi ce
geste en souvenir du Roi Marc'h aux oreilles du cheval Marin.